Le blog de Jac Forton sur l'Amérique latine
POURQUOI A-T-IL FALLU ATTENDRE 12 ANS ? 
mercredi 1 décembre 2010, 11:52 AM
POURQUOI A-T-IL FALLU ATTENDRE 12 ANS ?
La mort du général Pinochet le 10 décembre 2006, a provoqué une série de déclarations de la part de personnalités politiques françaises :
Dominique de Villepin, Premier ministre : « On peut regretter qu’il n’y ait pas eu de jugement pouvant permettre à tous ceux qui ont souffert sous Pinochet de faire leur deuil. »
Philippe Douste-Blazy, alors ministre des Affaires étrangères : « La France regrette qu’il soit mort sans avoir rendu compte de ses actes devant la justice. D’autres procédures judiciaires restent engagées. La France espère que leur aboutissement permettra de concourir à la manifestation de la vérité. »
De bien belles paroles, certes, mais dommage que la justice française ait été aussi lente que son homologue chilienne. Et, comme au Chili, il est facile de se cacher derrière le principe de la séparation des pouvoirs. Un peu de bonne volonté politique aurait certainement encouragé les juges… Après les efforts indéniables du juge Roger Le Loire de 1998 à 2001, les procédures se sont tristement embourbées.

Le lent cheminement de l'instruction
La route normale pour aboutir à un procès en assises en France est longue et lente. La lenteur de progression du dossier en France n’est pas seulement le fait de la procédure…
En septembre, au moment où le Tribunal de Bow Street à Londres entame l’examen sur le fond de la demande d’extradition du général Pinochet vers l’Espagne, le juge Le Loire a déjà lancé plus de vingt commissions rogatoires internationales, visité le juge Garzón à Madrid et envoyé des policiers français à l’étranger pour interroger divers témoins (Le Monde du 27 septembre 1999, un article de Philippe Broussard). Il a également envoyé une commission rogatoire aux autorités chiliennes demandant à pouvoir interroger divers militaires qui seraient impliqués dans les tortures et les disparitions. A Paris, Mes Sophie Thonon et William Bourdon, avocats des familles des victimes françaises, expriment leur satisfaction : « Un juge français aura contribué à révéler les pages les plus sombres de la terreur chilienne. Un procès en France devient vraisemblable » (Voir l'article du Monde mentonné ci-dessus).
En janvier 2000, la Cour suprême chilienne refuse que les militaires chiliens soient interrogés. Le 2 mars, alors qu’il est clair que le gouvernement britannique est sur le point de libérer Pinochet, l’ambassadeur de France à Londres est chargé de rappeler au gouvernement britannique que la France lui a remis deux demandes d’extradition « totalement soutenues par le gouvernement ». Le ministre Jack Straw ne répond pas à cette requête et le lendemain 3 mars, Pinochet s’envole vers le Chili.
Le 25 octobre 2001, le juge Le Loire délivre dix-neuf mandats d’arrêt internationaux pour « séquestrations et tortures » ou « complicité de séquestration et tortures » à l’encontre du général Pinochet, de quatorze militaires et trois civils chiliens, ainsi que d'un officier argentin, tous soupçonnés d’être à l’origine de la détention et de la disparition des quatre Français. Le général Pinochet, accusé d’avoir donné les ordres menant à une politique d’élimination de ses opposants, est accusé de « responsable décisionnel » et les autres de « responsables opérationnels ».
Cette action ouvre la voie à un véritable procès par défaut (en l’absence) de Pinochet et de ses subordonnés car on estime une extradition peu probable. Plusieurs de ces militaires sont déjà en prison au Chili pour d’autres crimes contre l’humanité commis durant la dictature. Les avocats des militaires chiliens déclarent qu'ils ne reconnaissent pas la juridiction de tribunaux étrangers.

En 2002, l’instruction passe dans les mains de la juge Sophie-Hélène Château.
Le 13 septembre 2002, petit coup de théâtre. Un des militaires chiliens requis par la justice française, commet la même erreur que son chef Pinochet en 1998 : le général Luis Ramírez Pineda se rend en voyage d’agrément en Argentine. En raison de l’ordre de capture internationale émis par la justice française, il est arrêté à son hôtel à Buenos Aires. Panique au Chili. Pour empêcher son extradition vers la France et le ramener au pays, le Chili doit donner de bonnes raisons à l’Argentine. Ramírez Pineda est donc accusé de la disparition de vingt personnes du Palais présidentiel de La Moneda en 1973 et le Chili demande son extradition. L'Argentine est bien embarrassée : deux demandes d'extradition de deux pays différents pour le même prisonnier ! Finalement, privilégiant la nationalité de l’accusé plutôt que la chronologie des demandes, l’Argentine décide d'extrader le général Ramírez vers Santiago.
En 2003, le dossier passe à la juge Sophie Clément. Le 5 décembre 2005, le Parquet de Paris requiert le renvoi du général Pinochet et de 15 autres personnes devant la Cour d’assises mais des mois plus tard, l’ordonnance de renvoi n’est toujours pas signée. Alors que plus rien ne semble faire obstacle à l’ouverture du procès, la juge Clément surprend tout le monde en rouvrant le dossier « pour instructions complémentaires ». De nombreux mois s’écoulent, consacrés à la traduction de documents venus du Chili…

Le 10 décembre 2006, Pinochet meurt. Il ne sera pas jugé en France…La colère des familles des victimes et de leurs avocats est grande. Il y a de quoi : une procédure commencée en 1998 et non aboutie fin 2006 laisse un peu rêveur…
Me Thonon, avocate des familles, pointe un doigt accusateur : « Ma réaction est de frustration… mais aussi un grand sentiment de colère contre ces justice chilienne, française et d’autre pays, qui n’ont pas pris la mesure du temps… Je pose la question : n’aurait-on pas pu aller plus rapidement (en France) ? » Me Bourdon va dans le même sens : « La lenteur de la justice française est une frustration pour les familles, car elle aura permis à Pinochet de jouer la montre.»
Le 21 février 2007, la juge Sophie Clément clôt enfin l’instruction par une ordonnance de renvoi devant la Cour d’assises. Les accusations finales sont « arrestations et séquestrationss aggravées, actes de torture et actes de barbarie ». A la (bonne) surprise générale, l'ouverture du procès est annoncée pour le 19 mai 2008.

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Les acteurs du procès 
vendredi 26 novembre 2010, 01:51 AM
LES ACTEURS DU PROCES A PARIS


La Cour d’assises
La Cour d’assises juge les personnes accusées de crime (meurtre, viol, vol à main armée…) et de tentatives et de complicités de crimes. Lorsque le jugement a lieu par défaut ou en l’absence des accusés, elle se compose de trois magistrats professionnels sans jury. Ce sera le cas du procès de décembre.
L'avocat général revient sur les faits et propose une sanction : c’est le réquisitoire. Lors des plaidoiries, les avocats de la défense argumentent l’innocence ou des circonstances atténuantes en faveur des accusés.
Finalement, le juge et ses deux assesseurs se retirent pour délibérer, c’est-à-dire décider si les accusés sont coupables ou non du ou des chefs d'accusation qui ont été retenus contre eux, puis déterminer les peines éventuelles.


Les avocats des familles

Me William Bourdon : avocat spécialisé en droit pénal international.
Il est l'auteur de La Cour pénale internationale , éditions du Seuil, Paris 2000. Défend les familles Chanfreau, Klein et Pesle.

Me Sophie Thonon : avocate de la famille Claudet, de l'Aexppch (France) et FAL.
Présidente de FAL.

Claude Katz: avocat de la FIDH et de la LDH

Benjamin Sarfati : avocat du CODEPU

Les parties civiles

La FIDH , Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme qui regroupe 155 ligues de par le monde. Sa vocation est « d’agir concrètement pour le respect de tous les droits humains écrits dans la Déclaration universelle ». Elle sera représentée par Me Claude Katz.

Le CODEPU , Corporación de Defensa y Promoción de los Derechos del Pueblo : basée à Santiago, c’est une association de défenseurs des droits humains très active durant la dictature. Elle sera représentée par Me Benjamin Sarfati.

L’AEXPPCH , Association des ex prisonniers politiques chiliens résidant en France, représentée par son président, Ricardo Parvex.

FAL : l’association France Amérique latine s’est créée en solidarité avec le peuple chilien suite au coup d’Etat militaire. Elle milite pour la défense de tous les droits des victimes et des personnes, tant civils et politiques, qu’économique sociaux et culturels.

LDH
La Ligue française des Droits de l’Homme lutte contre les atteintes aux droits et aux libertés, tant individuels que collectifs, dans les domaines de la vie civique, politique et sociale. Membre de la FIDH.



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Liste des personnes mises en accusation par la justice française 
vendredi 26 novembre 2010, 01:35 AM
LISTE DES PERSONNES MISES EN ACCUSATION PAR LA JUSTICE FRANCAISE

(par ordre hiérarchique militaire, les grades indiqués étant les grades actuels et non ceux de 1973)

Les militaires
PINOCHET UGARTE , Augusto : capitaine-général, chef de la Junte militaire, auto-déclaré président de la République, le dictateur. Décédé le 10 décembre 2006.
CONTRERAS SEPULVEDA, Manuel : général de l’armée de terre, Directeur de la DINA. Actuellement en prison pour plusieurs dizaines d’années pour divers crimes contre l’humanité.
ESPINOZA BRAVO, Pedro : brigadier général de l’armée de terre, adjoint du directeur de la DINA. Membre de la Caravane de la mort. Actuellement en prison pour crimes contre l’humanité.
PALACIOS RUHMAN, Javier : général chargé de l’assaut sur le palais présidentiel de La Moneda le jour du coup d’Etat. Décédé en juin 2006.
BRADY ROCHE, Julio : commandant de la IIe Division de l’armée de terre à Santiago au moment du coup d’Etat. Chef de l’état d’exception et juge militaire de Santiago. Inculpé le 8 août 2008 pour la disparition de huit détenus de La Moneda mais pas pour celle de George Kein.
RAMIREZ PINEDA , Joaquin : général du régiment Tacna basé à Santiago d’où ont disparu les prisonniers du palais présidentiel de La Moneda. Actuellement en prison préventive pour la disparition de Jorge Klein.
MOREN BRITO, Marcelo : colonel de l’armée de terre. Membre de la Caravane de la mort, chef de la Villa Grimaldi, tortionnaire bien connu pour sa cruauté. Actuellement en prison.
ITURRIAGA NEUMANN, Raúl : major d’armée, il était responsable du Département extérieur de la DINA. Actuellement en prison.
KRASSNOFF MARCHENKO, Miguel : brigadier général, tortionnaire dans divers centres de tortures (Villa Grimaldi, Londres 38). Chef de la Brigade Halcón de la DINA. Actuellement en prison.
GODOY GARCÍA, Gerardo : colonel de Carabiniers (police en uniforme). Chef de la Brigada Tucapel de la DINA. Actuellement en prison.
ZARA HOLGER, José : brigadier général, bras droit de Manuel Conreras dans la DINA. Actuellement en prison.
PACHECO CARDENAS, Andrés : colonel d’aviation, commandant de la base militaire de Maquehua, d’où disparut Etienne Pesle.
SANDOVAL POO, Emilio : capitaine réserviste de la Force aériennebasé à Maquehua, près de Temuco, dans le sud du pays. Impliqué dans la disparition d’Etienne Pesle. Devenu homme d’affaires, il circule librement au Chili.
AHUMADA VALDERRAMA, Rafael : capitaine du régiment Tacna, accusé d’avoir assassiné Jorge Klein. En prison préventive.
ZAPATA REYES, Basclay : brigadier. Tortionnaire connu, accusé de la mort d’Alfonso Chanfreau. Actuellement en prison.
RIVEIRO, Osvaldo : colonel argentin, membre des services secrets argentins accusé de la capture et disparition de Jean-Yves Claudet à Buenos Aires. Probablement caché dans une base militaire argentine.

Les civils
SCHAEFFER, Paul : chef de l’enclave et secte allemande de Colonia Dignidad, où Chanfreau aurait été torturé. Décédé fin 2009 alors qu'il était en prison au Chili pour… pédophilie, après s’être caché en Argentine pendant 6 ans.
ROMO MENA, Osvaldo : tortionnaire connu de Villa Grimaldi et Londres 38. Décédé en prison.
ARANCIBIA CLAVEL, Enrique : membre du bureau extérieur de la DINA en Argentine. Condamné à la prison à perpétuité en Argentine pour le meurtre du général Prats et de sa femme à Buenos Aires en 1974, il est question de le libérer pour « bonne conduite »..

Plusieurs accusés sont décédés :
Le général Augusto Pinochet en décembre 2006
Le général Javier Palacios Ruhman en juin 2006
Le major Andrés Pacheco Cardenas en décembre 2006
Le civil Osvaldo Romo en juillet 2007
Le civil Paul Schaeffer en 2009

Les grands absents des procès

L’absent principal du procès en France et des procès ouverts au Chili est bien sûr le général Pinochet, décédé le 10 décembre 2006.
Mais il y a d’autres grands absents :
- les acteurs économiques, ces civils qui ont bien profité du régime pour s’approprier des entreprises publiques et faire fortune sur le dos des Chiliens terrorisés par des polices secrètes ;
- les acteurs politiques, ces civils qui ont tenté de convaincre le monde que la torture et les disparus étaient une invention des opposants au régime et que le Chili était un pays libre qui vivait un miracle économique.
On comprend l’amertume et la soif de justice des familles des victimes et des associations de défense des droits humains lorsque l’on voit des anciens ministres et des hauts fonctionnaires de la dictature siéger en 2009, en démocratie, à la Chambre des députés et au Sénat, et exiger cyniquement du gouvernement démocratique issu des luttes populaires, « le respect de la Constitution et des traités internationaux » qu’eux-mêmes bafouaient en tant que fonctionnaires de la dictature.
Lorsque Sebastian Pinera, élu président de la République en janvier 2010, prend son mandat, il nomme plusieurs anciens pinochétistes à des postes importants de son administration. Tous durent démissionner devant la colère populaire !

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Les 4 Français assassinés par la dictature 
vendredi 26 novembre 2010, 01:11 AM
LES 4 FRANÇAIS ASSASSINES PAR LA DICTATURE


Note : Les quatre personnes mentionnées ci-dessous ne sont pas les seuls Français(es) à avoir été assassiné(e)s par la dictature de Pinochet mais le procès de décembre a lieu suite aux plaintes déposées par leurs familles.

GEORGES KLEIN
Georges Klein naît en 1945 dans la Drôme de parents autrichiens fuyant le nazisme et naturalisés Français. Les difficultés économiques poussent les Klein à émigrer, au Canada d’abord en 1952, au Chili un an plus tard. Excellent élève, Klein passe haut la main l’examen d’entrée à l’école de médecine. Il commence à s’intéresser à la politique et est attiré par les idées de gauche, socialistes d’abord, communistes ensuite. En 1970, Klein est pédiatre et Allende président de la République ; ce dernier lui offre un poste de conseiller social, un lien entre le président et le peuple. En 1971, Klein épouse Alice Vera Fausto, une psychologue brésilienne, ils auront une petite fille, Vanessa.

Le 11 septembre 1973, après les bombardements du Palais présidentiel de La Moneda, Allende ordonne aux personnes restées avec lui de se rendre aux militaires. Toutes, sauf Allende, sortent par la porte latérale située au 80 rue Morandé et sont immédiatement arrêtées par les soldats. Les femmes et les médecins sont autorisés à partir. Les autres sont obligés de se coucher par terre les mains sur la nuque. Vers 18h, les prisonniers, Georges Klein parmi eux, sont emmenés par un camion vers le camp militaire du Régiment Tacna, dans la proche banlieue sud de Santiago. Ils disparaissent…

Le 25 janvier 1991, la famille de Georges Klein dépose la plainte n° 134.231-7 contre X devant la Cinquième chambre des tribunaux civils de Santiago. Elle demande l’aide de l’ambassade de France, des Nations unies et du Collège médical du Chili.
En 1998, le général Pinochet est arrêté à Londres. Les familles françaises de quatre disparus, dont celle de Klein, déposent une plainte devant la justice française contre Pinochet et les militaires impliqués.

Peu à peu, grâce aux témoignages de survivants, on sait ce qui s'est passé au Régiment Tacna. Le soir du coup d’Etat, 49 prisonniers y sont emmenés par camion. Le commandant du camp, le colonel Joaquín Ramírez Pineda les accueille par des insultes et les fait battre par ses soldats. Certains prisonniers sont libérés, d’autres transférés vers d’autres camps. Il reste 21 prisonniers. Le colonel Ramírez veut les exécuter sur le champ mais des officiers le persuadent de le faire plus tard. Le colonel annonce aux prisonniers qu’ils seront fusillés à minuit, puis à 3 h du matin puis à 6 h. A chaque fois, des officiers le persuadent à ne pas procéder à cette exécution en plein camp militaire.
Les prisonniers sont obligés de rester dans des positions douloureuses, forcés de ramper, battus par des soldats blessés au moyen de couteaux de guerre sous l’œil impitoyable d’autres soldats munis de mitrailleuses qui exigent à grands cris de leurs officiers qu’ils les laissent tirer « sur ces ordures ». Ils sont torturés et interrogés par le Service de renseignement militaire.
Le 13 septembre, le colonel Ramírez donne l’ordre de f fusiller les prisonniers. Ceux-ci sont attachés avec du fil de fer, jetés les uns sur les autres dans un camion et recouverts d’une bâche. Le camion prend la route du nord. Comme tous les régiments situés dans les villes, le Tacna possède des terrains d’entraînement en dehors des zones urbaines. Les siens se trouvent au camp de Peldehue, près de Colina, à 30 km au nord de la capitale.
Arrivés dans le camp, le convoi s'arrête près d’un puits asséché large de trois mètres et profond de quinze. Les soldats de la jeep démontent leur mitrailleuse et l’installent à une quinzaine de pas du puits. Chaque prisonnier est placé dos à la mitrailleuse et face au trou. Les condamnés montrent une grande dignité. Aucun ne cherche à s’enfuir, plusieurs tombent en criant « Vive Allende », « Vive le Chili » ou « Vive la révolution chilienne ». Les corps tombent les uns sur les autres dans le puits. Après la dernière exécution, un officier fait exploser plusieurs grenades dans le puits qui est ensuite comblé.
Rentrés au camp, les soldats sont accueillis par le colonel Ramírez qui insiste : « c’est ce qu’il fallait faire avec ces gens, tous de dangereux marxistes. Rassurez-vous, il ne vous arrivera rien parce que les prisonniers ont tous été jugés par un tribunal militaire. »
La juge Valdovinos cherche les disparus
En 2000, dix ans après la fin de la dictature, le président Lagos donne une nouvelle impulsion à une Table de dialogue entre militaires et société civile créée par son prédécesseur. L’objectif : afin d’en finir avec l’interminable transition vers la démocratie, il faut régler le problème des violations aux droits humains durant la dictature, en particulier, connaître le sort des détenus disparus. Ceci ne peut se faire qu’avec le concours des forces armées puisque les escadrons de la mort et les polices secrètes étaient formés à 95 % de militaires. L’enjeu, pour les militaires, est la fin des mises en examen de dizaines d’entre eux pour assassinats, disparitions et crimes contre l’humanité ; pour le gouvernement, la fin des procès qui pourrissent les relations avec les militaires et la droite.
Les familles des victimes refusent de participer car elles craignent une loi de point final aux poursuites judiciaires et donc l’impunité des assassins. Pour une véritable réconciliation, disent-elles, en plus de la vérité, il faut aussi qu’il y ait justice.
Les forces armées promettent des enquêtes approfondies. On pense qu’elles pourraient éclaircir le sort de plus de 500 disparus. Le gouvernement fait savoir qu’il se satisferait de… 300 noms ! Lorsque

En janvier 2001, les militaires publient Rapport sur les disparus dans le cadre d'une Table de Dialogue entre société civile et militaires. On attend de savoir le sort de 500 disparus. L'armée n'en donne que 200 : « 151 personnes dont les noms suivent ont été jetées à la mer, 49 autres sont enterrées dans diverses fosses communes ». De ces 49 personnes, le rapport ne donne d’indications précises que pour deux endroits : 20 personnes inconnues seraient enterrées dans une fosse du Fort Arteaga et 8 autres dans une grotte à l’ouest de Santiago. On s’apercevra vite que le rapport est truffé d’erreurs ou de désinformations.
La Cour suprême chilienne confie le dossier « 20 personnes inconnues au Fort Arteaga » à la juge Amanda Valdovinos. Elle se rend vite compte que le Fort Arteaga est le nouveau nom du camp Peldehue, l’ancien camp d’entraînement du régiment Tacna. Ces 20 personnes seraient-elles les disparus de La Moneda ?
Les indications données par le rapport militaire sont très vagues : la juge ne trouve pas le puits. Mais le témoignage du sous-lieutenant Cornejo au journal La Nación en décembre 2002 la met sur la bonne route. Elle fait ouvrir ouvrir le puits avec la minutie d’une archéologue. Les terrassiers déterrent plus de 500 fragments de vertèbres, de phalanges, de dents ou de crâne, ainsi que des bouteilles de pisco, des balles et des éclats de grenades. Les résultats des recherches ADN provoquent une surprise : il n’y a que 12 personnes au lieu des 20 annoncées dans le rapport et ce sont bien les disparus de La Moneda. Parmi elles, Georges Klein…

Le dossier passe au juge Juan Carlos Urrutia. Le 13 janvier 2003, il inculpe huit militaires en tant qu’auteurs matériels des assassinats : le général Ramírez Pineda, le colonel Servando Maureira, le capitaine Jorge Herrera, le sous-lieutenant Cornejo (qui avait tout raconté aux journaux La Nación et El Mercurio) et les sergents Teobaldo Mendoza, Bernardo Soto, Juan Riquelme et Ismael Gamboa. Ces derniers avouent tout. Le 29 janvier,le juge inculpe aussi le brigadier Espinoza Bravo, en tant que donneur d’ordre. Le 14 février, il organise une reconstitution en présence de tous les inculpés sur le site même des exécutions. Pour sa défense, Ramírez Pineda invoque « des ordres supérieurs » venus du général Hermán Brady, alors commandant de la garnison de Santiago. Celui-ci nie avoir donné l’ordre de tuer les prisonniers. Le juge l’arrête quand même pour complicité.
En mai 2005, le dossier passe au juge Juan Fuentes Belmar qui émet une extraordinaire résolution : « L’exécution des prisonniers suivie de l’exhumation de leurs corps n’est pas un crime contre l’humanité mais une atteinte au Code sanitaire chilien, délit passible d’un maximum de 61 jours de prison et d’une amende. Les 61 jours de détention provisoire comptant comme jours d’arrêt, quatre des neufs accusés bénéficient d’un droit de prescription et doivent être libérés. » Indignés, les avocats des familles déposent immédiatement un recours devant la Cour d’appel de Santiago.
Le 20 avril 2006, la Cour révoque le verdict du juge Fuentes : « Le juge ne peut pas déclarer le non-lieu définitif pour des délits qui, au regard des traités internationaux signés par le Chili, sont considérés comme imprescriptibles et non amnistiables. » Le 10 juin 2008, la Cour d’appel considère que « l’exhumation des cadavres n’est que l’aboutissement d’une longue chaîne d’événements remontant à septembre 1973 et fait donc partie de délits de lèse-humanité » ; elle condamne trois officiers et six sous-officiers à… 200 jours de prison avec sursis, c’est-à-dire la peine pour une exhumation illégale dans le Code sanitaire ! Comprenne la justice chilienne qui pourra...
Les « condamnés » sont le colonel Hernán Canales (commandant du Tacna en 1978), le brigadier José Darrigandi (commandant des hélicoptères en 1978), le colonel Luis Fuenzalida (chef du renseignement au Tacna), ainsi que les sous-officiers Eliseo Cornejo, José Canario, Dario Gutiérrez, Fernando Burgos, Sergio Medina et Isidro Durán.
Les personnes poursuivies en France pour la disparition de Georges Klein sont :
Le général Augusto Pinochet, commandant en chef de l’armée (décédé).
Le général Herman Brady Roche, commandant de la garnison de Santiago.
Le général Javier Palacios Ruhman, chef des troupes d’assaut sur La Moneda (décédé).
Le général Joachim Ramírez Pineda, alors lieutenant-colonel, commandant du régiment d’artillerie de l’armée de terre Tacna.
Le colonel Rafael Ahumada Valderrama, alors capitaine soupçonné d’avoir exécuté Klein dans le camp de Peldehue.


ALPHONSE CHANFREAU
Alphonse Chanfreau a 22 ans le jour du coup d’Etat. Marié avec Erika Hennings, ils ont une fille, Nathalie. Chanfreau est étudiant de philosophíe à l’Université du Chili dans laquelle il est dirigeant étudiant du MIR, le Movimiento de Izquierda Revolucionaria, clandestin.
Le 30 juillet 1974 vers minuit, des civils armés défoncent la porte, envahissent le petit appartement et emmènent Alphonse.
Erika téléphone à Denisse, la sœur d’Alphonse qui prend immédiatement contact avec l’ambassade de France.
Le lendemain, les hommes armés reviennent et emmènent Erika. Convaincus que le couple possède d’importantes informations sur la structure clandestine du MIR (ce qui n’est pas le cas), les dinas torturent l’un devant l’autre pendant des heures. Après quatorze jours de tortures, Erika est expulsée vers la France. Alphonse disparaît…
Sur plainte de la famille, la justice ouvre une instruction mais le 30 avril 1976, la Cour d’appel de Santiago déclare un non-lieu provisoire car on ne trouve aucune trace du disparu. Fin décembre, elle ordonne que le juge en charge envoie une demande d’information à l’ambassade de France. Celle-ci n’ayant aucun renseignement autre que le récit de sa détention par sa famille, la Cour referme le dossier le 9 septembre 1977. Le recours des avocats de la famille est rejeté par la Cour suprême le 19 octobre.
Les recours rejetés au Chili et Erika Hennings exilée en France, rien ne se passe pendant 10 ans, jusqu’à la fin de la dictature. Le 17 mai 1990, la famille demande la réouverture du dossier au regard de nouvelles informations et suite au retour d’Erika au Chili. Des survivants des centres de torture, qui avaient aperçu Alphonse à Londres 38, sont prêtes à témoigner.
Les temps sont autres. De nouveaux juges, plus proches de leur métier que de la dictature, reprennent les dossiers. Les enquêtes sur les disparus reprennent.
En juin, la Cour d’appel désigne la juge Gloria Olivares pour reprendre le dossier. Un an plus tard, elle a identifié tous les tortionnaires et ordonne la mise en examen du général Manuel Contreras, directeur de la DINA ainsi que d’une dizaine de membres de la DINA. Le plus cruel d’entre eux, le civil Osvaldo Romo, disparaît dans la nature. La juge ordonne que la police le cherche et l’arrête. On le retrouve caché au Brésil qui l’expulse vers le Chili. Confrontant victimes et accusés pendant des semaines, la juge obtient de plus en plus de précisions et quelques aveux.
Mais quelque part, les pressions occultes donnent des fruits : la Cour suprême dont une partie importante des juges avait été nommée par Pinochet, ordonne l’arrêt de l’enquête. Devant le tollé général, elle annule cette décision quelques jours plus tard… Le 28 septembre 1992, le capitaine Miguel Krassnoff, l’un des tortionnaires les plus connus de la DINA, est confronté à Erika Hennings. Il nie sa participation. La juge interroge Osvaldo Romo qui reconnaît tout….

Décision scandaleuse de la Cour suprême
Le 30 octobre 1992, les six juges de la Troisième chambre de la Cour suprême, parmi lesquels l’auditeur général des armées, le général Torres Silva, décide par quatre voix contre deux et sur « recommandation » du général Torres, que le dossier passe à la justice militaire. Pour accepter cette proposition du juge militaire, ainsi à la fois juge et partie, la Cour reprend tous ses arguments : le pays était en guerre, le centre de tortures Londres 38 dépendait d’un organisme de caractère militaire et les faits sont imputés à des militaires. L’inacceptable de cette argumentation réside en ce que, quelques mois auparavant, pour réfuter la plaidoirie d’un avocat selon laquelle le régime militaire ne respectait pas les Conventions de Genève, la même Cour suprême avait déclaré que « ces conventions n’étaient pas applicables parce que le pays n’était pas en guerre ». Telle était la Cour suprême chilienne en 1992.
En décembre, le dossier passe à la « justice » militaire, qui s’empresse d’appliquer la loi d’amnistie. Le cas Chanfreau est fermé. Le retour de la démocratie deux ans auparavant n’a donc signifié aucun changement dans l’attitude des militaires et de la Cour suprême. Les tortionnaires jouissent en démocratie de la même impunité qu’en dictature.
En 2008, le dossier au Chili est toujours fermé. Il ne l’est pas en France…

Les personnes poursuivies en France pour la disparition d’Alphonse Chanfreau sont :
Le général Pinochet, commandant en chef des forces armées (décédé).
Le général Manuel Contreras, directeur de la DINA.
Le brigadier général Pedro Espinoza, second de la DINA et chef de la Brigade métropolitaine (Santiago) de la DINA.
Le brigadier général Miguel Krassnoff, alors capitaine, tortionnaire.
Le brigadier général Marcelo Moren Brito, alors major, tortionnaire.
Le lieutenant-colonel Gerardo Godoy García, responsable du Groupe Toucan de la DINA.
Le sergent Basclay Zapata Reyes.
Le civil Osvaldo Romo, tortionnaire de la DINA (décédé).
Le civil Paul Schaeffer Schneider, chef de la colonie Dignidad, d’où Chanfreau aurait disparu (décédé).


JEAN-YVES CLAUDET FERNANDEZ
35 ans, ingénieur, né au Chili, marié avec Arhel Danus en 1962, deux enfants, chargé des relations internationales du MIR. Arrêté deux fois après le coup d’Etat puis expulsé vers la France, il revient en Argentine l’année suivante.
A cette époque, les organisations d’extrême gauche du Cône sud unissent leurs efforts de résistance armée contre les dictatures dans le cadre de la JCR, la Junte de Coordination Révolutionnaire. Y participent, le MIR chilien, l’ERP et les Montoneros d’Argentine, les Tupamaros d’Uruguay, et l’ELN bolivien. [MIR : Mouvement de la gauche révolutionnaire. ERP : Armée révolutionnaire du peuple. ELN : Armée de libération nationale].
.Début 1975, pour lutter contre la JCR, un décret présidentiel donne tout pouvoir à l’armée argentine. Le colonel José Osvaldo Ribeiro, du SIE (Service du renseignement de l’armée), prend la tête de cette action et crée le Bataillon 601. Ribeiro, nom de guerre « Rawson », établit rapidement de bons contacts avec le Chilien Enrique Arancibia Clavel, un civil, représentant permanent de la DINA à Buenos Aires dans le cadre du Plan Condor.
Fin 1975, le MIR, durement attaqué par la DINA au Chili, choisit d’installer son centre d’opération en Argentine. Jean-Yves Claudet est envoyé à Paris et revient en Argentine avec une valise d’argent pour financer les opérations de résistance. Il atterrit à Buenos Aires le 31 octobre, s’inscrit à l’hôtel Liberty dont le patron, Benjamin Taub, est un sympathisant du MIR. Rawson du Bataillon 601 est étrangement au courant de son arrivée : Claudet est arrêté. On sait qu’il a été remis à la DINA chilienne dans le cadre de l’Opération Condor et depuis, on ne l’a plus jamais revu.
Le 19 décembre 2001, suite à une requête du juge français Roger Le Loire, le juge fédéral de Buenos Aires, Sergio Torres, met le colonel Ribeiro « en détention préventive aux fins d’extradition ». La famille de Claudet est inquiète : le gouvernement de Fernando de la Rúa vient de décréter que le gouvernement argentin rejettera toute demande d’extradition de citoyens argentins sur demande d’un juge étranger, mais s’engage à entamer des poursuites devant la justice nationale « si les juges étrangers apportent les preuves nécessaires ».

Les personnes poursuivies en France pour la disparition de Jean-Yves Claudet sont :
Le général Augusto Pinochet, commandant en chef de l’armée.
Le général Manuel Contreras, directeur de la DINA.
Le général Raúl Iturriaga Neuman, chef du département extérieur de la DINA.
Le major José Zara, exécuteur des basses œuvres de la DINA.
Le civil Enrique Arancibia Clavel,civil, représentant permanent de la DINA en Argentine.
Le colonel argentin Osvaldo Ribeiro, dit Rawson, complice de l’opération en Argentine.

ETIENNE PESLE
Etienne Marie Louis Pesle de Mesnil, 49 ans, est né en France en 1927. Il devient prêtre, émigre au Chili en 1953, quitte la soutane en 1966 et se marie avec Haydée Méndez dont il a deux enfants. Ils adopteront ensuite une petite fille. Au moment du coup d’Etat, il travaille comme conseiller agricole de l’INDAP, l’Institut de développement agricole à Temuco, la capitale de la région mapuche à 800 km au sud de Santiago. C’est un militant du Parti socialiste et un membre du Mouvement des Chrétiens pour le socialisme.
Le 12 septembre 1973, Pesle, très impliqué dans la lutte des paysans chiliens contre les grands propriétaires, est arrêté à son domicile par une patrouille de police puis libéré. Le 17 septembre, il est invité à se présenter devant le tribunal militaire de la petite ville de Cautín avec tous ses papiers et son contrat de travail. Il est relâché le même soir. Le surlendemain, il est de nouveau arrêté sur son lieu de travail à l’INDAP par une patrouille de la Force aérienne menée par un riche propriétaire terrien local, Miguel Manríquez, qui en voulait à Pesle pour avoir aidé les paysans mapuches à bénéficier de terres expropriées sur ses propriétés. La camionnette blanche qui l’emmène est conduite par le capitaine réserviste Emilio Sandoval Poo, un homme d’affaires connu dans la région. L’arrestation s’est réalisée devant une vingtaine de témoins dont l’un d’entre eux avertit son épouse. Celle-ci se rend immédiatement à la base militaire du Régiment Tucapel qui nie toute détention. Elle se rend à la base aérienne où on lui fait la même réponse. Madame Méndez contacte alors le consul de France à Temuco, Pedro Alzuguet, qui lui recommande d’essayer la police de la ville de Lautaro où son mari avait aussi travaillé. Mais le commissariat dit tout ignorer de l’arrestation. Depuis, on ne sait rien d’Etienne Pesle.

En 1979, Anne-Marie Pesle, fille d’Etienne, dépose une plainte pour séquestre et crimes contre l’humanité pour la disparition de son père devant la Deuxième Chambre de Temuco. Le 25 octobre 1979, en raison de la participation évidente de militaires et de policiers dans l’arrestation, le juge doit se déclarer incompétent et passer le dossier à la justice militaire de Valdivia. Celle-ci le transmet au juge militaire régional de Puerto Montt en janvier 1980. Plus rien ne se passe pendant 18 mois. Le 23 juillet 1981, la justice militaire décrète le non-lieu provisoire, qui est confirmé par la Cour martiale le 20 octobre. Aucun témoin, durant toute la durée de « l’enquête », n’a jamais été invité à faire une déclaration.

En 1998, lors de l’arrestation de Pinochet à Londres, la famille de Pesle demande au juge d’ajouter le nom du général Pinochet, chef suprême des forces armées. Le procureur de Paris, estimant que la base de Maquehua n’était pas sous le commandement direct du dictateur et que celui-ci n’avait pas donné l’ordre précis d’éliminer Pesle, n’avait pas cru bon d’ajouter son nom à la liste des personnes à interroger par la justice française. Les avocats des victimes invoquent alors la jurisprudence des Tribunaux internationaux pour la Yougoslavie et le Rwanda sur la notion de responsabilité hiérarchique.

Les personnes poursuivies en France pour la disparition de Etienne Pesle sont :
Le civil Emilio Sandoval Poo,réserviste de la FACH, qui a dénoncé Pesle et guidé les militaires jusqu’à lui.
Le major Andrés Pacheco Cardenas, commandant de la base Maquehua de Temuco (décédé).


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