Le blog de Jac Forton sur l'Amérique latine
PLAIDOIRIE DE L'AVOCAT GENERAL  
samedi 18 décembre 2010, 10:03 PM
Vendredi 17 décembre 2010

PLAIDOIRIE DE M. L’AVOCAT GENERAL PIERRE KRAMER
Un des témoins de la partie civile disait : « Il n’y a pas de mots ». Mais il y des textes !
Le mot disparaître a deux sens : ne plus être visible, et mourir.
C’est un paradoxe que les disparus sont très présents. Ce sont les accusés, déserteurs du prétoire, qui sont invisibles.

LE CAS DE M. GEORGE KLEIN

Les témoins ont tenu à venir 37 ans après le coup d'Etat. Pour eux, c’est comme si c’était hier. On a obtenu toutes les informations sur ce qui s’est passé, les heures, les duplicités (Brady Roche qui rassure Allende alors même qu’il s'aligne derrière Pinochet), les préparatifs du coup d’Etat (les soldats du Régiment Tacna qui reçoivent 100 balles chacun le 10 septembre), le bombardement, l’assaut. On a chronologie, les témoignages.
On sait tout sur les personnes qui ont quitté le Palais de La Moneda par Morandé 80 et qui ont été transférées au Régiment Tacna. Cela apparaît aussi dans le Rapport Vérité et Réconciliation de 1991, dans lequel on veut la vérité quitte à faire l’impasse sur le nom des auteurs des atrocités. A ce sujet, on a les déclarations d’anciens conscrits, de journalistes.

Klein ne fait l’objet d’aucune procédure après sa détention. Ce qui est prévu, c’est tout simplement l’élimination. Il existait des listes de personnes à rechercher et éliminer (témoignage de Soane, ancien chef de la police civile). Soustraire une personne de tout contact extérieur était une mise en condition de mort imminente.

Les accusés sont : Brady Roche, Ramirez Pineda, Ahumada Valderrama. Tous les témoignages se recoupent. Pour connaître le sort de Klein, la famille prend des risques : elle va au SENDET (Service national des détenus), elle le cherche partout. Partout elle rencontre le déni de détention auprès des autorités.
On a parlé de démarches illusoires. Non, car les diverses Commissions tiendront ces démarches en compte.
Il faut maintenant entrer dans la voie de la condamnation.

LE CAS D'ETIENNE PESLE

Nous avons entendu le témoignage d’un prêtre qui vit aujourd'hui au Canada. Détenu avec Pesle qui lui dit : « Je suis prêtre, je suis Français, je suis marié… » Un autre prêtre du nom d'Alarcon, un miraculé qui a été fusillé, a survécu et s’est échappé, a également donné son témoignage par écrit. Toute l’affaire Pesle repose sur des témoins. Tous mettent Emilio Sandoval Poo en question.
Le témoin Nepomuceno Paillalef raconte qu’il n’était pas très enthousiaste pour venir témoigner en France car les conditions au Chili étaient difficiles. De plus, deux témoins au moins ont préféré ne pas venir suite à des pressions locales.
Il est reproché à Sandoval Poo une arrestation suivie d’actes de torture. Poo est un grand commerçant local. Cette région a été l’une des plus réprimées.

Je ne veux pas remplacer la défense. J’invite la Cour à prendre en compte les éléments suivants : arrestation suivie de tortures ; il existait des listes de personnes ciblées pour leur idéal, et il s’agissait bien d’un plan concerté. De plus, Emilio Sandoval Poo est un officier de réserve, ce n'est pas un grade inférieur. Au moment des faits, il y avait déjà eu des arrestations et des exécutions.

On peut considérer cette arrestation suivie de disparition comme un délit continu, selon les lignes de la Convention contre la disparition forcée de personnes.
Autre point déterminant : la négation de l’arrestation, son caractère dissimulé. C’est à partir du moment où l’on sait ce qu’est devenue la personne que peut commencer à courir la prescription.
On a bien en main, toutes les preuves des termes de l’accusation donnée dans l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction.

Il s'agit bien d'une période d’élimination des opposants par la DINA, un service de renseignement structuré et sauvage.

LE CAS D’ALPHONSE CHANFREAU

Le meilleur réquisitoire est le témoignage de Erika Chanfreau, d’une grande dignité.
Les militaires sont formés au canon de la guerre subversive pour laquelle l’ennemi est intérieur. Avec la DINA, la torture est érigée système. Avec de telles méthodes, la structure du MIR tombe peu à peu…
L’Etat utilise des procédures clandestines, dans des centres de torture clandestins, des tortures extrêmes… Le Président Lagos parlera de « l’énorme abjection dans notre patrie… »

Erika Hennings, épouse de Chanfreau, met en cause des agents tels que Gerardo Godoy, Miguel Krassnoff, Zapata Reyes, Moren Brito, Osvaldo Romo. Des témoignages proviennent aussi de militants "retournés" (Luz Arce, Flaca Alejandra,…) qui expliquent les techniques de tortures. Tout cela sous la direction de Manuel Contreras et Espinoza Bravo. Nous avons entendu des témoignages tels que celui de M. Rebolledo devant la Cour.

Chanfreau a-t-il été emmené à la Colonie Dignidad ? Plusieurs témoignages concordent en ce sens (Menanteau à Matta) (la juge Gloria Olivares). La famille a réalisé de nombreuses démarches. Elle n’a obtenu aucune garantie judiciaire. La cause a été transmise à la justice militaire et le non-lieu a été déclaré.
Selon les autorités, il n’y a jamais eu de procès avec condamnation. Il y a donc plénitude de juridiction ici pour juger le cas Chanfreau.

LE CAS JEAN-YVES CLAUDET

Le 30 septembre 1975, assassinat du général Prats et de son épouse à Buenos Aires.
Le 6 octobre 1975, tentative d’attentat contre Bernardo Leighton et son épouse à Rome.
Le 1er novembre 1975, disparition de Claudet à Buenos Aires.
Le 21 septembre 1976, assassinat de Orlando Letelier à Washington.

Des documents déclassifiés aux Etats-Unis montrent les dessous de ces affaires.
Il ne faut pas confondre amnistie avec amnésie.

José Zara semble bien hors cause car l’alia « Luis Gutierrez », qui se réfère à un poste et non à une personne, semble viser Raul Iturriaga Neumann et non Zara.

La torture doit être retenue comme une circonstance aggravante. Contreras et Espinoza doivent être considérés comme impliqués en tant que chef et sous-chef de la DINA, en tant que complices de séquestre et de tortures. On connait aujourd'hui l’organigramme complet de la DINA. L'alors colonel Contreras a déclaré qu’il « rendait compte quotidiennement à Pinochet au petit déjeuner… »

Les faits et les charges d’accusation sont établis. J’aurais aimé entendre les accusés dire : « Nous nous sommes trompés… » Mais ils ne sont pas venus…

J’en viens aux réquisitions :
L'utilisation de la procédure par défaut : si elle n’existe pas, c’est la porte ouverte à l’impunité. Il ne faut pas devenir otage des accusés, il ne faut pas qu’ils soient maîtres du temps. La procédure par défaut a reçu l’acceptation de la CEDH. Elle est parfaitement équitable. Nous avons appliqué le droit commun, pas une procédure d’exception.
De plus, la Convention contre les disparitions dit clairement que l’amnistie ne doit pas être un obstacle à la justice. Le droit à la justice est dans toutes les Conventions : CIDH, CEDH, etc.
La défense des droits fondamentaux est essentielle. L’autorité judiciaire doit contrôler toute privation de liberté et faire respecter l’Habeas Corpus.

La complicité de Contreras, Espinoza et Ribeiro est clairement établie. Je demande une peine de 20 ans pour ces trois accusés.
Pour tous les autres, je demande 15 ans.
Il faut confirmer les mandats d’arrêt internationaux.



Le Président de la Cour ordonne que le dossier de la procédure soit remis à la greffière, ce qui termine l’audience.


Lors de la reprise de l’audience, le Président lit les Instructions et règles d’une telle procédure : les juges ne doivent répondre qu’à une seule question :
« Avez-vous acquis une intime conviction basée sur des preuves et des arguments de la défense ? »
La Cour se retire pour délibérer…



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