Le blog de Jac Forton sur l'Amérique latine
DECLARATIONS DES "GRANDS TEMOINS" 
mardi 21 décembre 2010, 04:43 PM
Audience du jeudi 9 décembre 2010

Déclarations des GRANDS TEMOINS

Dans le cadre du procès, le Président de la Cour accepte d’entendre ce que les plaignants appellent des « grands témoins », ou des «témoins de conscience ». Il s’agit d’éclairer la Cour sur le contexte politique, juridique et éthique chilien et international. Ces témoins déclarent en vertu du « pouvoir discrétionnaire » du Président de la Cour.

M. LOUIS JOINET
(Auteur du « Rapport final sur la question de l'impunité des auteurs des violations des droits de l'homme » aux Nations unies (juin 1997).
Il y a un rapport direct entre dictature et disparitions forcées. Il existe des grands théoriciens de l’organisation de l’oubli.
Il faut faire la différence entre la disparition comme crime individuel et comme crime contre l’humanité. C’est le caractère systématique des disparitions qui fait le crime contre l’humanité. C’est cette situation qui a motivé la création du crime continu qui exige de savoir. Le crime continu n’est élucidé que lorsque l’on sait ce qui s’est passé avec la victime. Ce qui mène à la quasi imprescriptibilité.
Il faut distinguer le droit de savoir du droit de justice, de façon à ce que la certitude de la mort de la victime n’arrête pas la recherche du corps.
LA VALEUR DE CE PROCES EST QU’IL A LIEU !

L’importance du Chili à cette époque est qu’il y a eu une prise de pouvoir par un parti socialiste au moyen d’élections, une première en Amérique latine.
Il y a eu un long vide juridique. Les juristes de l’autre camp disaient que les disparitions n’étaient pas un crime puisque non codifié. La récente « Convention pour la protection de toutes les personnes contre la disparition forcée », est autant le fruit du travail des familles et des associations que celui des juristes. La disparition est un instrument de terreur envers les personnes non (encore) engagées contre le régime, pour qu’elles n’entrent pas dans l’opposition.

Un nouveau concept a vu le jour : «identifier le commandite » (les chefs hauts gradés), celui qui savait mais n’a rien fait pour l’arrêter.
Il existe aujourd’hui 3 canaux de lutte contre l’impunité dans le cadre de procès en absence : la Convention sur les disparitions forcées, les lois nationales et la Cour pénale internationale.

LA PROCEDURE EN ABSENCE EN FRANCE A ETE MODIFIEE IL Y A QUELQUES ANNEES (2004). Le texte de cette loi se devait d'être identique à un procès équitable. IL L’EST.
De plus, les modifications à notre code pénal qui ont remplacé la "contumace" par la procédure "par défaut" ONT ETE VALIDEES PAR LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME.
L’ARGUMENT DE PROCES NON EQUITABLE N’EST DONC PAS RECEVABLE.

M. STEPHANE HESSEL
Nous sommes préoccupé pour l’évolution lente du droit international. MAIS AUJOURD’HUI, IL FAIT UN PAS EN AVANT, car les crimes impunis pèsent sur la conscience de l’humanité.
Ce qui se passe ici, c’est rendre justice aux victimes mais c’est aussi un progrès du droit international pour les revendications de l’humanité. Ce tribunal fait partie de cette évolution.
UN BOX VIDE INVALIDERAIT LE PROCES ? Il est peut-être vide mais la cause est aussi importante que s’il était plein.


M. ROGER LE LOIRE
(Juge d’instruction du présent dossier pendant plusieurs années à partir d’octobre 1998)
Il raconte les investigations, enquêtes, rencontres, voyages et réception des témoignages au long de ces années avant d’être transféré vers une autre destination et de devoir passer l’instruction à un autre magistrat.
Il raconte comment, invité par lui à répondre à quelques questions sur sa connaissance du Plan Condor, Henri Kissinger a rapidement pris le chemin du retour vers les Etats-Unis… Il répondra plus tard par écrit.
(Rires dans la salle)


Mme MAGDALENA GARCES
(Avocate du Programme des droits humains du ministère de l’Intérieur du Chili)
Il y a eu au Chili des avances et des reculs importants. De 1990 à 98, les procès sont transférés à la justice militaire et il existe une application large de la Loi d’amnistie de 1978.
En 1998, vrai changement, cette situation prend un coup d’arrêt :
- La Cour suprême (CS) annule une décision de la Cour Martiale et ordonne la poursuite de l’instruction.
- La CS statue que le pays était en état de guerre ce qui aurait dû faire jouer les Conventions de Genève.
- L'arrestation de Pinochet à Londres permet de mettre sur pied, en 2000, une « Table de dialogue » qui ouvre un dialogue entre des avocats des droits humains et les Forces armées sur les disparitions. Cela donnera lieu à un Rapport des Forces armées, qui sera d’ailleurs plein d’erreurs ou de fausses informations.
- En 2004, la Cour suprême ordonne les premières arrestations de membres de la DINA et n’applique pas la loi d’amnistie car elle considère la séquestration comme un délit permanent.
- En 2005, la Cour change d’avis dans deux cas de disparus lorsque l’on retrouve leurs corps. Puisqu’il n’y a plus de disparition, la Cour applique la prescription et non l’amnistie, mais le résultat est le même, la libération des auteurs.
- En 2006, la Cour retient le crime contre l’humanité (à Valdivia)
- En 2007, le cas Rivera Matus, nouvelle évolution. La CS commence à appliquer la loi de la demi-prescription, un atténuant qui permet de fortement réduire la prison effective alors que la peine est lourde. Si la demi-prescription porte la peine à moins de 5 ans, on applique la loi du bénéfice de la "bonne conduite" qui peut mener à la mise en liberté sans avoir fait un seul jour de prison…

Au total, 290 agents de l'Etat ont été condamnés mais seuls 51 vont en prison, c’est-à-dire 25 % !
La Cour suprême condamne selon le droit international mais laisse la majorité en liberté, peut-être à titre de sa «participation à la réconciliation » ? Avec la loi de demi-prescription, on prescrit ainsi des crimes théoriquement imprescriptibles.

Une grande dette de la justice est le manque d’enquête sur la participation de civils aux disparitions.

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