Le blog de Jac Forton sur l'Amérique latine
POURQUOI A-T-IL FALLU ATTENDRE 12 ANS ? 
mercredi 1 décembre 2010, 11:52 AM
POURQUOI A-T-IL FALLU ATTENDRE 12 ANS ?
La mort du général Pinochet le 10 décembre 2006, a provoqué une série de déclarations de la part de personnalités politiques françaises :
Dominique de Villepin, Premier ministre : « On peut regretter qu’il n’y ait pas eu de jugement pouvant permettre à tous ceux qui ont souffert sous Pinochet de faire leur deuil. »
Philippe Douste-Blazy, alors ministre des Affaires étrangères : « La France regrette qu’il soit mort sans avoir rendu compte de ses actes devant la justice. D’autres procédures judiciaires restent engagées. La France espère que leur aboutissement permettra de concourir à la manifestation de la vérité. »
De bien belles paroles, certes, mais dommage que la justice française ait été aussi lente que son homologue chilienne. Et, comme au Chili, il est facile de se cacher derrière le principe de la séparation des pouvoirs. Un peu de bonne volonté politique aurait certainement encouragé les juges… Après les efforts indéniables du juge Roger Le Loire de 1998 à 2001, les procédures se sont tristement embourbées.

Le lent cheminement de l'instruction
La route normale pour aboutir à un procès en assises en France est longue et lente. La lenteur de progression du dossier en France n’est pas seulement le fait de la procédure…
En septembre, au moment où le Tribunal de Bow Street à Londres entame l’examen sur le fond de la demande d’extradition du général Pinochet vers l’Espagne, le juge Le Loire a déjà lancé plus de vingt commissions rogatoires internationales, visité le juge Garzón à Madrid et envoyé des policiers français à l’étranger pour interroger divers témoins (Le Monde du 27 septembre 1999, un article de Philippe Broussard). Il a également envoyé une commission rogatoire aux autorités chiliennes demandant à pouvoir interroger divers militaires qui seraient impliqués dans les tortures et les disparitions. A Paris, Mes Sophie Thonon et William Bourdon, avocats des familles des victimes françaises, expriment leur satisfaction : « Un juge français aura contribué à révéler les pages les plus sombres de la terreur chilienne. Un procès en France devient vraisemblable » (Voir l'article du Monde mentonné ci-dessus).
En janvier 2000, la Cour suprême chilienne refuse que les militaires chiliens soient interrogés. Le 2 mars, alors qu’il est clair que le gouvernement britannique est sur le point de libérer Pinochet, l’ambassadeur de France à Londres est chargé de rappeler au gouvernement britannique que la France lui a remis deux demandes d’extradition « totalement soutenues par le gouvernement ». Le ministre Jack Straw ne répond pas à cette requête et le lendemain 3 mars, Pinochet s’envole vers le Chili.
Le 25 octobre 2001, le juge Le Loire délivre dix-neuf mandats d’arrêt internationaux pour « séquestrations et tortures » ou « complicité de séquestration et tortures » à l’encontre du général Pinochet, de quatorze militaires et trois civils chiliens, ainsi que d'un officier argentin, tous soupçonnés d’être à l’origine de la détention et de la disparition des quatre Français. Le général Pinochet, accusé d’avoir donné les ordres menant à une politique d’élimination de ses opposants, est accusé de « responsable décisionnel » et les autres de « responsables opérationnels ».
Cette action ouvre la voie à un véritable procès par défaut (en l’absence) de Pinochet et de ses subordonnés car on estime une extradition peu probable. Plusieurs de ces militaires sont déjà en prison au Chili pour d’autres crimes contre l’humanité commis durant la dictature. Les avocats des militaires chiliens déclarent qu'ils ne reconnaissent pas la juridiction de tribunaux étrangers.

En 2002, l’instruction passe dans les mains de la juge Sophie-Hélène Château.
Le 13 septembre 2002, petit coup de théâtre. Un des militaires chiliens requis par la justice française, commet la même erreur que son chef Pinochet en 1998 : le général Luis Ramírez Pineda se rend en voyage d’agrément en Argentine. En raison de l’ordre de capture internationale émis par la justice française, il est arrêté à son hôtel à Buenos Aires. Panique au Chili. Pour empêcher son extradition vers la France et le ramener au pays, le Chili doit donner de bonnes raisons à l’Argentine. Ramírez Pineda est donc accusé de la disparition de vingt personnes du Palais présidentiel de La Moneda en 1973 et le Chili demande son extradition. L'Argentine est bien embarrassée : deux demandes d'extradition de deux pays différents pour le même prisonnier ! Finalement, privilégiant la nationalité de l’accusé plutôt que la chronologie des demandes, l’Argentine décide d'extrader le général Ramírez vers Santiago.
En 2003, le dossier passe à la juge Sophie Clément. Le 5 décembre 2005, le Parquet de Paris requiert le renvoi du général Pinochet et de 15 autres personnes devant la Cour d’assises mais des mois plus tard, l’ordonnance de renvoi n’est toujours pas signée. Alors que plus rien ne semble faire obstacle à l’ouverture du procès, la juge Clément surprend tout le monde en rouvrant le dossier « pour instructions complémentaires ». De nombreux mois s’écoulent, consacrés à la traduction de documents venus du Chili…

Le 10 décembre 2006, Pinochet meurt. Il ne sera pas jugé en France…La colère des familles des victimes et de leurs avocats est grande. Il y a de quoi : une procédure commencée en 1998 et non aboutie fin 2006 laisse un peu rêveur…
Me Thonon, avocate des familles, pointe un doigt accusateur : « Ma réaction est de frustration… mais aussi un grand sentiment de colère contre ces justice chilienne, française et d’autre pays, qui n’ont pas pris la mesure du temps… Je pose la question : n’aurait-on pas pu aller plus rapidement (en France) ? » Me Bourdon va dans le même sens : « La lenteur de la justice française est une frustration pour les familles, car elle aura permis à Pinochet de jouer la montre.»
Le 21 février 2007, la juge Sophie Clément clôt enfin l’instruction par une ordonnance de renvoi devant la Cour d’assises. Les accusations finales sont « arrestations et séquestrationss aggravées, actes de torture et actes de barbarie ». A la (bonne) surprise générale, l'ouverture du procès est annoncée pour le 19 mai 2008.

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